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Archives : La Pâtisserie française illustrée (N°1 - 1936)

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Grâce à Gallica (archives numériques de la Bibliothèque Nationale), je vous propose de nous plonger dans l'histoire de la cuisine. À travers la découverte de livres de recettes, publications et autres documents historiques, retraçons l'évolution des techniques et tendances culinaires.

N. B. : N'étant pas historien, cet article peut contenir des erreurs. J'essaie cependant de faire mon maximum pour sourcer correctement les informations partagées. Dans le cas où des approximations ou fautes s'y seraient glissées, n'hésitez pas à me le signaler !

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

« La Pâtisserie française illustrée » est une revue gratuite à destination des professionnels (pâtissiers, confiseurs, chocolatiers et glaciers), publiée de 1936 à 1989. Je ne suis malheureusement pas parvenu à trouver d'informations à son propos malgré de nombreuses recherches. J'imagine que son tirage n'était pas massif puisque réservé à un milieu professionnel spécifique.

Publiée aux éditions COBA, il semblerait que cela fasse référence à l'école du même nom située à Bâle en Suisse. Cette école visiblement très réputée et avant-gardiste, était, semble-t-il, la seule école de pâtisserie et chocolaterie au monde à cette époque. Aujourd'hui celle-ci n'existe plus, mais est référencée à de très grandes reprises dans les biographies de nombreux artisans qui y auraient été formés.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Revenons-en à notre revue. Après en avoir feuilleté plusieurs numéros, on y découvre un aperçu génial des préoccupations des artisans. Préoccupations qui presque 100 ans plus tard n'ont pas tant changé que cela d'ailleurs !

On y décèle aussi les prémices de l'histoire tragique qui pointera le bout de son nez quelques années plus tard, et qui causera la fermeture en mars 1940 des pâtisseries pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais c'est un sujet sur lequel on aura probablement l'occasion de revenir prochainement.

La « Pâtisserie française illustrée » propose un contenu varié : dernières tendances, recettes, idées déco, marketing et même discours motivationnel... tout y est. Le grand plus : des photos très utiles pour les artisans, à une époque où la majorité des livres de recettes restaient écrits, avec au mieux quelques illustrations.

L'objectif décrit par celle-ci est le suivant :

"Oui, nous savions qu'il est nécessaire d'apporter à des professionnels des idées nouvelles et des suggestions modernes pour que progresse encore et toujours l'art de la pâtisserie française" [...]
"La confiserie-pâtisserie, métier de luxe, n'avait pas jusqu'à ce jour de revue digne d'elle."

C'était désormais le cas. Voici quelques morceaux choisis dans le premier numéro, paru en janvier 1936.

Un dossier de 6 pages sur le triple centenaire de la naissance de VATEL

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Je dois dire que je ne m'attendais pas à tant de passion envers le pâtissier-traiteur François Vatel, né en 1631 et organisateur des festins royaux de Chantilly (en Hauts-de-France).

La revue le précise même :

Ce n'est guère ici le lieu où célébrer comme il conviendrait le centenaire des grands hommes de l'histoire et La Pâtisserie Illustrée n'a point été créée dans un but littéraire. Mais à toute règle — fût-ce même celle à laquelle on a décidé soi-même de s'astreindre — il est des exceptions.

L'auteur de ce dossier et rédacteur de la revue, un certain F.-J. Dégerine, semble fasciné par ce personnage. François Vatel est le maître d'hôtel derrière le banquet ultra-luxueux organisé à Vaux-le-Vicomte par le marquis Nicolas Fouquet en présence de Louis XIV en 1661. Festin tellement parfait qu'il entraînera l'arrestation de ce même Fouquet, ayant touché à l'orgueil du Roi.

Après deux ans d'exil, Vatel donna littéralement sa vie pour son métier. Bourreau de travail, il ne supportait pas la moindre erreur lors de l'organisation de ces banquets fastueux. Il dormait peu, s'infligeait (ou se voyait infliger) une pression énorme. Et c'est suite à une livraison non complète de poissons frais qu'il mit fin à ses jours en se plantant un sabre dans le cœur.

Je trouve ce récit curieux comme entrée en matière pour une revue professionnelle. J'imagine que l'auteur souhaitait ici appuyer sur le sens du sacrifice dont il est nécessaire de faire preuve pour exercer le métier de pâtissier/chocolatier. Peut-être aussi qu'il s'agissait d'un bon moyen de partager un bout de l'histoire à une audience qui, à l'époque tout du moins, n'avait probablement pas eu l'enseignement nécessaire à cela.

Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre…

L'hiver 1935-1936 marque le début d'une reprise économique en France, et l'espoir d'un avenir prospère semble être souhaité ici par la revue. Alors même qu'Hitler prépare l'Allemagne nazie à la guerre. Un vœu pieux auquel l'histoire donnera tort.

Sont partagées ici plusieurs idées de décoration pour des glaces de Noël. Décorations clairement rétro qui misent beaucoup sur la pâte d'amandes et le chocolat. Un point qui m'interpelle : était-ce possible d'acheter des entremets glacés pour les déguster chez soi à l'heure où le congélateur n'existait pas encore dans les foyers ? N'hésitez pas à me l'indiquer si vous avez la réponse !

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Une déco si moderne

Aujourd'hui les couleurs pop et l'instagrammabilité des desserts sont tendances. En 1935, on y retrouve peut-être un peu d'Art déco dans un décor pour le moins minimaliste. Un sapin de Noël stylisé avec bougies et boule de Noël (flottantes ?). Le sapin est réalisé d'une « belle tranche de nougat de Montélimar fourré de pistaches ». Je vous laisse juge de cette prise de risque !

Très impressionné cependant par le travail du chocolat sur le dessert façon « branches de gui ». A se demander même comment les branches faites en sucre ne se brisent pas sous le poids des feuilles en pâte d'amandes.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Techniques et hygiène

La revue est l'occasion de partager des techniques complexes, qui à ma connaissance sont toujours d'actualité. Et de distiller ça et là quelques conseils sur l'hygiène, essentielle dans tout milieu professionnel.

Afin de réaliser un « Panier du Confiseur moderne », il est indiqué :

Pour des paniers plus grands, la « corbeille » sera préparée dans un moule demi-sphérique ou encore dans une bassine à blancs. On aura soin de nettoyer à fond ces ustensiles et de les frotter énergiquement avec un chiffon de laine pour les rendre aussi brillants que possible.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Il ne faudrait pas retrouver des traces d'œuf sur un moule en chocolat ! D'autres techniques sont partagées par la suite : la confection de rouleaux en chocolat ou encore de sabots en nougat. Être artisan pâtissier c'est difficile, et la revue nous le rappelle :

Le travail du nougat est très délicat ! Que de casse ! Que de déboires ! Que de brûlures douloureuses ! Donc le laisser refroidir puis le réchauffer doucement. Nous en reparlerons.

Vous êtes prévenus !

L'importance d'une vitrine "qui vend"

On arrive enfin à la partie marketing de la revue, qui n'est pas avare en conseils pour booster les ventes. Pour la nouvelle année, elle propose une idée originale qui devrait à coup sûr attirer le chaland :

L'idée mise ici en valeur – un veilleur de nuit des temps anciens annonçant à son de trompe l'arrivée de l'année nouvelle – est excellente et, au plus haut point publicitaire. C'est là un sujet qui, traité en grosses touches et avec doigté ne peut manquer de retenir l'attention des passants...
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Avancer ou reculer

La revue termine sur toute une partie que l'on pourrait qualifier de discours motivationnel n'ayant rien à envier aux pires meilleurs managers d'aujourd'hui (ou à Jean Claude Vandamme, au choix). Il est recommandé au lecteur de « bien prendre la peine de relire chacune de ces phrases et de les méditer attentivement ».

Dans les affaires, rappelle la « Revue de l'Efficience », chacun avance ou recule. Ceux qui stationnent reculent en réalité, parce qu'ils sont moins ambitieux et vieillissent. L'eau stagnante ne stationne pas : elle se corrompt et devient de plus en plus contaminée; l'écume, la mousse, les microbes l'envahissent. Un homme qui en sait exactement autant aujourd'hui qu'hier recule. Il ne suit plus le mouvement. Celui qui n'apprend pas autant que ses concurrents est rétrograde. Celui qui avance est celui qui apprend qui pense, qui produit, qui crée.

La concurrence est rude, et si l'on ne souhaite pas être laissé sur le côté, mieux vaut se retrousser les manches et continuer à se former. Un dernier paragraphe (ci-après) l'explique en des termes assez rudes, justifiant par ailleurs l'existence même de la revue.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Les idées qui ont moins bien vieillies

Petit florilège des réalisations qui auraient peut-être un peu moins de succès aujourd'hui.

Le bonhomme de neige à pipe qui se gèle. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Le sapin de Noël un peu phallique. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Les "bougeoirs modernes", ou des donuts qui ne s'assument pas. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Les sabots en nougat remplis de confiserie, de quoi se casser quelques dents. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Bonus : l'ancêtre du robot pâtissier domestique

Sur la quatrième de couverture, on retrouve une publicité pour des « machines frigorifiques automatiques ». Outre l'aspect un peu mortuaire des chambres froides, les photos illustrant le produit laissent apparaître un ensemble de machines ressemblant à des marteaux piqueurs.

Il s'agit en fait très probablement de robots mixeurs, ancêtres du robot pâtissier d'aujourd'hui. Sur l'image, on discerne un fouet et une cuve intégrée au meuble, probablement lui aussi réfrigéré. J'imagine que cela permettait de monter des crèmes bien froides en chantilly ou de réaliser des glaces.

La marque Hobart aux États-Unis proposa des modèles similaires pour les ménages, avec un moteur à la verticale. Mais c'est Kitchenaid qui popularisa l'utilisation du moteur à l'horizontale.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

J'espère que cette plongée dans le monde des artisans pâtissiers/chocolatiers en 1936 vous aura plu ! Je reste personnellement très surpris devant la modernité de certaines propositions, mais aussi devant la complexité que devait être la réalisation d'une revue comportant autant de photos. Ca devait cependant être très utile pour tous les professionnels voulant rester à jour sur les dernières tendances, et in fine pour nous aussi presque 100 ans plus tard.

Vous pouvez retrouver en intégralité « La Pâtisserie française illustrée N°1 » sur Gallica.